Camille Bleu-Valentin
Commissariat d'exposition
~ Sous la surface ~
Disparu sur la Loire, alors qu’il rentrait à Nantes, un négrier, 60 canons et 20 tonneaux, s'évapore de la carte, avec à son bord des pacotilles, un nombre inconnu d’esclaves, du sucre blanc et de la poudre noire... Nul ne sait comment, sa cargaison ressurgit aujourd'hui ici, à Saint-Mathurin-sur-Loire.
Bouées, sculptures flottantes en sandales en plastique, dimensions variables, 2016.
Archipel, une cuillère à café dans mon sucre, papier teinté au café, dimensions variables, 2024.
Divisée en 3 espaces, comme un bateau, l’exposition remue les fonds vaseux du fleuve pour chercher ce qui se cache « sous la surface » de ces eaux troubles.
Tout commence sur le pont : y guettent des hommes inquiets, à l’œil rivé sur des cartes tachées au milieu de bouées jonchant le sol. Deux femmes s’y enlacent, retenant dans leur main une mèche de cheveux.
Konon Kun, une mèche de cheveux comme souvenir. Photographie numérique, Mariam Niaré et Habibatou Yaye Keita, 2023.
Sous leur pieds – l’entrepont – la lumière s’y fait rare et l’atmosphère humide. Sont retenus là des esclaves, des pacotilles, des histoires et des marchandises de grande valeur.
Pacotille, une larme sur la joue, perle suspendue en verre soufflé et feuilles d’or blanc, 2023.
Ilasucre, (prononcer : île à sucre) : mangrove de racines tressées, dont les fleurs surnommées "Vulves célestes", à la floraison rare et brève, prennent racine entre les planches des bateaux négriers, se nourrissant des restes de sucre oubliés et des histoires murmurées par les captifs.
Particulièrement fragiles, elles sont parentes des coquillages cauris, utilisés comme monnaie d’échange, surnommés « porcelaine » et dont toute la valeur tient à leur ressemblance, avec un sexe féminin. Leurs tiges, cheveux, sirènes, sont un hommage aux femmes enceintes jetées par-dessus bord pendant les traversées, ainsi qu'à toutes celles qui ont préféré le suicide collectif plutôt que la captivité.
Ilasucre, installation, faïences émaillées, cheveux synthétiques, sucre blanc, caramel teinté, visage en verre, fil de fer, dimensions variables, 2024.
Cauris, sculpture en verre soufflé, eau de mer salée et cheveux tressés, 2023.
Fatuma Faye, de l'importance de la coiffure au Mali, coiffure pour petite fille et photographie réalisée par Habibatou Yaye Keita et Mariam Niaré, 2023.
Symboles culturels et ADN tressés, les cheveux des esclaves étaient rasés par les propriétaires à leur arrivée dans les plantations... Néanmoins, la rumeur court que certains Marrons utilisaient la coiffure pour avertir les autres de leur fuite ou rébellion.
Indienne, série « Pacotilles », monotype sérigraphique, 2018.
Cotonnades imprimées à l’encre rouge dans le centre-ville de Nantes, les indiennes de traite, une fois imprimées et expédiées, servaient de monnaie d’échange contre des marchandises en Afrique. Le motif imprimé est ici détourné à partir d’un extrait de schéma montrant comment allonger les esclaves dans l'entrepont des bateaux négriers afin que ceux-ci prennent moins de place pendant les traversées.
La boudeuse, sculpture en sucre coulé, dimensions variables, 2023.
Bas reliefs décoratifs installés au dessus des portes et fenêtres sur les façades d’immeubles, les mascarons nantais étaient étroitement associés au commerce maritime colonial. Ils sont pour les vendeurs d’esclaves de l’époque, un moyen d’afficher publiquement leur fortune dans l’architecture de la ville. La boudeuse, mascaron ici reconstitué en sucre, fond lentement tout au cour de l'exposition, s'échappant cette fois, de toute intention mercantile.
Le temps s'étire maintenant de l'entrepont jusqu’aux profondeurs de la cale : plongée dans l’obscurité, il y brille encore quelques pacotilles, au milieu d'une forte odeur de poudre...
BYE BYE,
Installation et vidéo-performance pyrotechnique, 600x160 cm, Dunkerque, 2024.
BYE BYE est un monument éphémère face à la mer. Réalisée sur la plage de Draek à Dunkerque, à l’endroit précis, seulement quelques jours plus tôt, d’un départ de personnes migrantes vers le Royaume-Uni. Un ensemble de fusées rouges trace BYE BYE en lettres de feu sur la plage, comme un dernier : à Dieu.
Lien vers video : https://dai.ly/k2G1HV7WGh288sAFHFm
Paris c’est magique,
performance dansée interprétée par Bekaye Sidibe au bord du fleuve Niger, Bamako, Mali 2023.
Sous le soleil de Bamako, les mouvements dansés saccadés de Bekaye agitent la multitude de porte-clefs tours Eiffel constituant son costume. Au son des tintements métalliques produits par son propre rythme, Bekaye incarne les espoirs de celles et ceux qui partent chercher en Europe un avenir meilleur.
Son costume, lourd mais scintillant, est conçu à partir de lots multicolores de porte-clefs Tours Eiffel, rachetés à Paris aux vendeurs à la sauvette originaires d’Afrique de l’Ouest, écoulant leur pacotilles ‘‘made in China’’ aux touristes de la capitale française. J’ai rencontré Bekaye pour la première fois à Bamako il y a maintenant 2 ans. Il m’a tout de suite raconté son désir de quitter le Mali et de venir vivre en France. Bekaye a déjà tenté la traversée une fois, avant d’être repêché de justesse par un garde-côte mauritanien.
Il est difficile pour moi de lui expliquer que la vie est dure à Paris aussi, tant la situation est incomparable à celle subie quotidiennement au Mali.
Lien vers vidéo : https://dai.ly/x8oetrg